Opus Wine

Trois points de suspension. Quelques minutes plus tôt résonnaient encore des rires et des voix rendues complices par le vin. Calme après la tension. Elle a toujours la boule au ventre quand il s’agit de parler en public. Il reste ce vieux fond de timidité, de mise en danger. Et puis surtout ce cheveu, ce fil tortueux empêtrant sa langue et ses mots. Domestiqué, refoulé tout au fond du palais, exilé mentalement, il revient parfois à l’improviste quand elle est nerveuse ou émue.Certains trouvent ça charmant : elle ne peut s’empêcher de les trouver idiots.

Un défaut c’est un défaut. Point. Les vins n’en présentaient aucun : ils étaient même très à leur avantage. Elle a encore du flair. La part d’empirisme et d’instinct qui fait opter pour les syrah sombres, leurs épices et leurs longues volutes veloutées en début d’automne. Les étés les font se terrer en elles-mêmes, autistes tanniques. Choisir, muée par une attirance irrésistible, une bouteille plutôt qu’une autre : elle a appris sans vouloir comprendre à faire confiance à ses sens.Lumières éteintes dans la pièce mais un lampadaire lui fait profiter de sa faible lueur : elle savoure la pénombre.Puisqu’elle est seule, lasse, elle se déchausse. Ses pieds nus sur le béton poli, elle s’attendait à quelque chose de glacé, c’est tiède et doux. Dans une carafe respire le Côte Rôtie. Quand elle a annoncé le nom du vin, le silence s’est fait. Sur un fil ténu, tendu, une terrible beauté est née : de la magie des sens bientôt allumés par l’appellation. Sésame, ouvre-toi ! Les mots deviennent presque sensations. Les langues déjà impatientes de recueillir et d’appréhender, les yeux qui pétillent, les souffles perçus. Elle s’assied, verre à la main, étend ses jambes. Prolonger un peu le plaisir délicieux d’être seule,avec les ombres qui jouent, les muscles qui se dénouent. Fermer les yeux, tout au plaisir des cerises et du poivre noir qui explosent sur sa langue, de ce velours nimbé d’amer. Ce sont des minutes hors du temps. Une pause, une osmose.