Respirer

Je me pose souvent la question de ce qui me pousse à écrire. Je ne délivre aucun message particulier, je ne suis le porte-parole d’aucun courant: j’écris des fictions. Je raconte des histoires de façon très égoïste, en espérant un peu qu’elles plaisent. Beaucoup même: il y a un plaisir intense à voir que ce qu’on peut produire trouve un écho chez d’autres. Mais ce n’est pas mon moteur principal. Pour le plaisir ? Le plus souvent, non. Je suis rarement entièrement satisfaite d’un texte, et l’état d’écriture ne me procure pas d’extase particulière. Au contraire. Je suis juste mue par quelque chose de profondément indéfinissable, qui me pousse à mettre en musique ce que je n’arrive pas à exprimer de façon plus directe. J’écris comme d’autres peignent, sculptent, ou chantent, de tout mon souffle. Ce sont mes doigts sur le clavier qui me font respirer. Lire la suite

Gosse

Elle a des yeux bleus immenses qui mangent son visage en forme de losange. Le teint pâle, les joues inexistantes, son menton est une ébauche mais ses yeux à eux seuls valent le détour. C’est presque une gageure de les décrire. Ils sont d’un bleu intense presque violet et en même temps ils tirent aussi vers le marine. Pourtant ils ne sont pas éteints: ils étincellent. Il faudrait pouvoir mélanger des teintes sur une palette au fur et à mesure qu’ils fuient vers d’autres selon la lumière, son humeur … La pluie les rend liquides, limite noirs. Du pétrole. Lire la suite

Rose lune

image

Didi. Un simple redoublement d’une syllabe. Rien de bien sorcier. Je ne sais pas d’où elle a sorti ça. Elle n’est pas particulièrement imaginative. Je ne sais pas ce qu’elle fait en fait ni qui elle est. A quoi elle pense. Si elle rêve? Ce qu’elle aime. Je sais qu’elle peut passer des heures à regarder le tennis à la télé, j’ai le souvenir assez net des courts de tennis orange, du bruit de la balle, lancinant, récurrent, des ahannements des joueurs, des petits ramasseurs de balles qui détalent à toute allure,des jambes hâlées et l’ombre plus claire quand le short se soulève, des scores mystérieux pour moi.

Lire la suite

Fêlure

Elle court le long du verre, et mes yeux ne peuvent pas s’en détacher. C’est beaucoup mieux : ça permet de ne pas les entendre.

C’est un verre de station service, celle où papa va toujours parce que maman ne conduit pas, bleu vert pas vraiment opaque. On peut pas l’acheter : faut remplir une carte avec des timbres, chaque dizaine de  litre d’essence rapporte un timbre, il en faut dix pour un verre. J’aurais bien voulu qu’il roule plus, papa.  Comme ça il aurait dû plus souvent faire le plein. Décrocher le pistolet de la pompe, et glou et glou,  ça sent dégueulasse et pique les narines, avec la monnaie il me fourgue les petits carrés chiffonnés dans les mains, je passe le papier sur la langue, c’est  bon et pas bon à la fois, puis appliquée je colle le plus droit possible. S’il était parti plus souvent j’en aurais peut être eu plusieurs. Lire la suite